Êtes-vous déjà allé vous promener dans Caylus ? Ce village serti dans un écrin de verdure et installé autour d’un château perché sur une butte rocheuse ? Après avoir quitté Caussade par l’est et roulé en ligne droite pendant une trentaine de minutes sur le causse, la route s’enfonce dans une vallée encaissée. C’est au cours de cette descente que le village se révèle . A Caylus, aucune maison ne ressemble à une autre. C’est un lieu où la fenêtre sculptée médiévale peut côtoyer sans problème le crépi récent.

En histoire médiévale, la ville est un sujet qui a souvent suscité le débat. C’est devenu un thème dont chacun se fait une idée propre, que certains grands noms s’approprient mais il n’y a en définitive aucune vérité absolue. On aboutit ainsi aisément à des malentendus si on ne précise pas la définition à laquelle on se rattache.

Définir la ville

En gardant une distance raisonnable avec ces débats, la ville peut se définir comme un lieu où une communauté s’installe et organise son habitat en fonction de contraintes liées au terrain et à des règles sociales. C’est-à-dire des individus regroupés qui s’installent sur un terrain qu’ils séparent en parcelles et en zones de circulation : les routes, rues et ruelles.

La manière de répartir ces espaces est dictée par une autorité (un dirigeant, des lois, une tradition, etc…). Les évènements amènent ensuite la communauté à bâtir sur ces parcelles, à modifier leur espace, à détruire des éléments ou encore à réutiliser des bâtiments abandonnés. C’est cet ensemble de phénomènes qui forme une agglomération urbaine au Moyen Âge.

Les mots barbares : bastide et castelnau

En se basant sur cette définition de la ville, il est possible d’y intégrer un phénomène assez singulier : les petites agglomérations urbaines du Midi de la France. Ce sont des petites villes ou des grands villages de 500, 1000 ou 2000 âmes qui ont souvent conservé des bâtiments, ou des parties de bâtiments médiévaux comme un château, une église ou encore des maisons.

En évoquant les petites villes du sud de la France, il y a des idées préconçues qui viennent assez vite à l’esprit. Par exemple, lorsqu’on parle d’une agglomération dont les rues sont toutes à angle droit et forment un plan “quadrillé”, c’est une bastide. Au contraire quand le plan révèle plus de courbes, avec des quartiers qui sont installés en suivant la forme des remparts du château, on parle d’un castelnau.

Mais quand on essaie de plaquer ces modèles sur une ville, on s’aperçoit assez souvent que la réalité est légèrement plus compliquée. Si quelques agglomérations semblent coller parfaitement à leur désignation, comme Grenade en Haute-Garonne qui a gardé la forme typique d’une bastide, d’autres présentent une organisation bien plus complexe de leurs rues, de leurs espaces bâtis et non-bâtis.

Un village et son château

Lorsqu’on s’intéresse à une ville, il y a toujours de très nombreuses questions qui se présentent. Alors quand on se penche sur un village qui ne dispose quasiment pas de sources avant le XIIIe siècle, tenter de répondre à ces questions devient un vrai travail de détective.

On se demande alors quand le village a été fondé ? A l’initiative de qui ? Pourquoi ce lieu aurait-il été plus attractif qu’un autre pour installer une agglomération ? Y avait-il des zones plus artisanales et d’autres plus politiques ?

Faire entrer Caylus dans une case

Si je ne peux pas réellement répondre à ces questions, je peux toutefois m’en approcher en m’intéressant à son développement. En effet, l’organisation décrite plus haut, avec une agglomération qui se développe autour d’un château, rappelle immédiatement le modèle du castelnau.

Mais en se penchant sur le détail du plan de la ville, on s’aperçoit que ce n’est pas le seul modèle représenté à Caylus. Il est possible de voir quelques quartiers très réguliers dans certaines zones, qui font davantage penser à une organisation de type « bastide ».

Un quartier intriguant

Mon travail se concentre sur l’une de ces zones, qui borde par le nord la rue principale appelée rue Droite. Cette voie qui porte bien son nom, correspond à une ligne droite tirée entre l’église Saint-Jean-Baptiste et la place du Marché.

Le quartier a l’aspect d’un code-barre. Il est constitué de bandes larges d’une à trois maisons mitoyennes. Ces sortes de lanières de maisons sont séparées par des ruelles et s’allongent vers le nord.

Les maisons donnant sur la rue Droite sont généralement plus soignées et mieux entretenues que celles donnant sur les ruelles. La plupart des murs sont en pierre tantôt bien taillée, tantôt grossièrement équarrie, mais on trouve aussi de la brique et du pan de bois, surtout pour les parties les plus hautes. Pour les faire parler, je me sers de différentes approches que je compare ensuite, de manière à avoir un résultat le plus précis possible et scientifiquement valide.

Des méthodes croisées

Pour comprendre les phénomènes de construction, d’évolution et d’occupation de ce quartier, mon approche se base sur des méthodes croisées d’analyse sur un plan vertical (les façades) et sur un plan horizontal (les plans au sol).

De l’archéologie sur des maisons

Les méthodes d’archéologie du bâti, permettent de restituer une histoire des bâtiments à partir des vestiges toujours en place. Pour faire court, lorsqu’on construit, on a tendance à commencer par le sol, les fondations, puis on édifie les murs de bas en haut. Si par hasard votre maison est construite dans l’autre sens, faites breveter le processus, ça pourrait vous rapporter gros.

A partir de cette méthode, il est donc possible de proposer une histoire de la construction et des diverses modifications d’un bâtiment à partir d’observations précises. L’archéologue du bâti passe donc des heures à redessiner des murs et à prendre des notes sur des fiches pour comprendre comment cette fenêtre de style XIVe siècle s’articule avec le lavabo en porcelaine rose dont l’évacuation est percée dans le mur. Au final, il restitue une image du bâtiment à différentes époques selon les données qu’il a pu collecter.

L’observation des plans

En parallèle de cette méthode, je croise ces données avec des cartes actuelles et anciennes à l’aide de solutions informatiques spécialisées. Je me sers donc d’un logiciel appelé un S.I.G. (Système d’Information Géographique), qui fonctionne globalement comme Google Earth. Dans une carte interactive, on applique des calques successifs, des couches de données qui peuvent nous intéresser et même des informations en texte, en image, etc…

Je me sers donc du cadastre actuel, de celui du XIXe siècle, de cartes topographiques qui me donnent les altitudes et d’images figurées comme les plans Trudaine du XVIIIe siècle. Ceci me permet de tenter de comprendre l’évolution de ce quartier au cours du temps et d’y reporter mes données d’archéologie du bâti.

De bien belles méthodes, me direz-vous, pour une question aussi large que “l’organisation d’un village”. Il y a bien des thématiques précises dont je peux vous parler…

Alors, comment organisait-on l’espace à Caylus ?

Ce travail vise donc à tenter d’approcher une réalité de la ville au cours du temps, de voir la manière dont les habitants ont construit leurs maisons, dans quel ordre et aussi de comprendre si tout cela était planifié ou totalement laissé au hasard.

Une construction planifiée

Ainsi en général, si vous achetez un terrain constructible, vous allez installer la maison à l’endroit qui vous semble le plus intéressant, et ce lieu est a priori la rue la plus passante. Comment expliquer alors que certaines maisons soient installées dans les ruelles, loin de la rue Droite ?

De plus, la hauteur des bâtiments empêche le soleil de taper sur ces maisons jusqu’à une heure avancée en matinée et très tôt en fin de journée, ce qui rend ces espaces difficiles à habiter. Pourquoi donc avoir décidé de construire des maisons à cet endroit si ce n’est pas pour suivre une sorte de “plan d’aménagement” ?

Des emplacement de choix

Ensuite, le but de cette étude est de comprendre quelles différences il y a entre deux espaces de ce quartier. D’un côté les maisons qui donnent sur la rue Droite, zone de passage prestigieuse qui permet d’installer diverses boutiques ou ateliers et de vendre les productions aux passants. De l’autre les maisons qui donnent dans les petites ruelles perpendiculaires, plus sombres, froides et par conséquent moins prestigieuses.

A l’image de nos rues commerçantes actuelles, la rue Alsace-Lorraine à Toulouse ou encore Sainte-Catherine chez nos amis les Bordelais, la rue médiévale est le lieu où tout se passe. Elle permet de circuler d’un point à un autre et constitue donc le lieu de contact avec la population par excellence. Les maisons qui y sont construites ont donc un aspect très soigné qui permet aux propriétaires ou habitants de montrer leurs richesses. Celles qui sont plus en retrait, dans les ruelles, peuvent avoir une autre fonction (stockage, travaux peu prestigieux), ou encore servir d’habitation pour des habitants moins riches.

De possibles vestiges d’un rempart

Enfin, une autre question se pose quant à ces maisons. Les sources plus récentes dont nous disposons montrent que l’emplacement de ce quartier a abrité un rempart à la fin du Moyen Âge. Cette fortification a disparu, mais comme des habitations sont construites à cet endroit, il se pourrait que des tronçons soient réutilisés comme des murs de ces maisons.

C’est un phénomène assez fréquent qui s’explique par le fait que la construction d’un bâtiment est coûteuse en temps et en matériaux. Pour limiter les dépenses, il est donc plus pratique de réutiliser les matériaux ou les murs encore en élévation et de venir y appuyer des éléments plus récents. Lorsque c’est possible, je demande donc aux propriétaires ou habitants de m’ouvrir leur porte pour pouvoir observer d’éventuelles traces de ce rempart.

À terme, mon travail vise à ouvrir une fenêtre sur l’expansion du village et sur la vie des habitants de Caylus du XIIIe siècle à nos jours, à l’intérieur de ces maisons en pierre qui sont aujourd’hui pour la plupart très humides et froides et nécessitent des travaux importants pour être agréables à occuper. Mais ce travail est aussi l’occasion de promouvoir cette petite ville, trop souvent dénigrée au profit de lieux plus touristiques, et dont l’atmosphère et les habitants gagnent sans aucun doute à être connus.

Crédits image mise en avant : tous droits réservés, Eric Chabanne.

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